Nous voilà dix par une très belle journée, sous un ciel bleu, seulement strié de quelques longs nuages blancs tout minces. Après quelques problèmes de parking (des propriétaires pas très arrangeants) Christine nous sauve par sa connaissance des lieux et par là même évite à nos pieds deux km d’asphalte.
Nous montons régulièrement à travers une forêt de chêne et de pins. Il y a encore beaucoup de fleurs. Les boutons d’or, les fleurs bleu pâle du lin, les fleurs blanches des cistes à feuilles de sauge viennent éclairer les fougères qui bordent le sentier.
Nous sommes un moment en vue du château du Bézu, silhouette dentelée se détachant haut sur le ciel. Puis nous le perdons. Nous avançons dans la vallée. Versants très boisés et au-dessous, des prés en pente, quadrillés par des haies. De temps en temps, des vaches couchées dans l’herbe verte. Des chevaux et même un mignon poulain tout neuf. Un très beau et très serein paysage.
Une halte au cimetière du Bézu, en pleine nature. De très vieilles tombes, avec des inscriptions du XIXe siècle très effacées, émergent des herbes folles ; des fleurs d’ail rose vif et des glaïeuls sauvages mettent de belles touches de couleur. Nous nous dirigeons vers le château, longtemps sans le voir, il apparaît un moment, beaucoup plus proche, puis il disparaît à nouveau. Nous entamons la montée, la pente est raide et le chemin caillouteux. Une halte dans ce qui fut la chapelle, on reconnaît le plan et il reste une pierre d’autel érodée par le temps. Nous continuons et l’accès est de plus en plus difficile, nous longeons des vestiges de murailles aux gros blocs bien taillés. Enfin, nous voici là-haut. Accueillis par deux vautours planant majestueusement. Pour s’apercevoir que ce qui d’en bas nous apparaissait comme des pans de murailles était en fait des rochers. Là- haut, on voit moins de murailles humaines que dans la montée.
Le lieu d’Albedun (nom qui, linguistiquement, a évolué en « Bézu ») a été occupé à l’époque wisigothe (VIe-VIIe s.) puis il a appartenu au comté carolingien du Razès, dépendant d’abord du comté de Cerdagne puis du comté de Carcassonne. Le château a une histoire semblable à celle de la plupart des châteaux médiévaux de notre région. Construit au début du Moyen Âge, le grand château qui commandait le sud Razès était aux mains de Bernard Sesmon d’Albedun au moment de la croisade contre les Albigeois. Il fut pris par Montfort en 1210 puis Sesmon fit sa soumission et le récupéra. À plusieurs reprises, des dignitaires cathares ont été accueillis en ses murs. Comme la plus grande partie du Razès, il fut confisqué en 1231 et donné à Pierre de Voisins, un lieutenant de Simon de Montfort, qui sera aussi seigneur de Rennes-le-Château. Devenu faidit (seigneur sans terre), Sesmon se rendit plusieurs fois à Montségur et continua la guerre de harcèlement contre les Français. Au XVIe siècle, le château était déjà ruiné.
C’est sans doute la proximité du lieu avec Rennes-le-Château qui a fait entrer le château du Bézu dans l’orbite des « mystères » devenus la caractéristique du pays : le seigneur aurait été anormalement riche et il aurait été protégé pendant la croisade, le château aurait appartenu aux Templiers, les Templiers du lieu auraient été mystérieusement protégés alors que tous les autres Templiers de la chrétienté étaient exterminés, d’où forcément trésor et forces occultes, etc… De là une légende : dans la nuit du 13 octobre (les Templiers de France ont été arrêtés le 13 octobre 1307), une cloche sonne dans le puits d’une métairie proche, alors des fantômes sortent du cimetière et en file indienne se dirigent vers le château. Et il paraît qu’il y a des visiteurs particuliers au Bézu le 13 octobre…
Le château du Bézu occupait une position extraordinaire, de cela nous ne doutons pas. De là haut, la vue est fantastique, nous embrassons les reliefs du Razès, les pentes boisées, les prés pentus, dominés par une serre rocheuse éclairée par le soleil, le village perché de Rennes-le-Château, d’autres villages au loin, des fermes isolées au creux d‘îlots de végétation, au loin, le massif du Saint-Barthélémy avec quelques morceaux enneigés et, dans une fenêtre qui s’ouvre entre deux montagnes, la silhouette reconnaissable entre toutes du château de Peyrepertuse. On se croirait au-dessus d’une carte géographique. Nous nous installons pour le pique-nique sur ce qui en est fait le toit d’une citerne. Des coussins d’œillets roses et aussi de silènes tout aussi roses illuminent les pierres, il y a des tas d’insectes -dont un très joli entièrement vert pomme- et plein de papillons. Le ciel est bleu, le soleil chauffe fort et Nicole nous déclare qu’elle n’a jamais eu de salle à manger aussi belle. Le banquet est suivi d’une sieste qui se prolonge.
Tout de même, il faut redescendre ; curieusement, la descente est aussi raide que l’a été la montée… nous rejoignons le fond de la vallée, toujours beaucoup de fleurs, plusieurs variétés d’orchidées, des ficaires, des stellaires, des aphyllanthes, des cistes blancs, des véroniques, une foison de jaune, de rose, de bleu… Une petite escale dans le village du Bézu avec ses maisons fleuries, son très bel et très ancien escalier tournant, son église. La dernière partie est une large piste dans une forêt de grands pins qui dressent leurs troncs droits et bien serrés vers le ciel. Et cette forêt est habitée … par des ânes. Il y en a qui prennent le soleil allongés sur la piste, d’autres surgissent au-dessus des fougères à notre passage - l’image est inattendue mais très jolie-, puis s’enfoncent en contre-bas dans les sous-bois, nous en caressons et ils nous suivent un moment.
Et puis nous retrouvons les voitures avant de prendre le pot de l’amitié dans un café de Couiza.
Merci à Jeff qui a programmé la rando mais n’a pas pu être des nôtres, merci à Christine et à Roger qui nous ont menés sur les chemins à la rencontre de l’histoire et des légendes en cette très belle journée de mai.
Claudine P.