Nous nous retrouvons ce dimanche à dix-neuf
devant l’abbaye-école de Sorèze.
Il fait encore relativement frais et, par un
chemin ombragé, nous commençons une belle montée régulière vers l’oppidum de
Berniquaut. De part et d’autres du
chemin des fleurs, des fleurs, des fleurs, des tapis de trèfle jaune, des
vipérines bleues, des marguerites, des cistes… Puis la montée se fait plus raide,
les vipérines dévalent les pentes et,
pour les dernières dizaines de mètres, il faut mettre les mains sur les
rochers. Mais là-haut, là-haut quel émerveillement… Un panorama à 360 °. D’un
côté, loin en bas, Durfort et ses maisons serrées le long du Sor, dans un écrin
de montagnes boisées, de l’autre Sorèze, son abbaye, son cœur ancien, son
clocher, un peu plus loin Revel et la plaine tarnaise, d’un côté le paysage
sauvage de la Montagne Noire, de l’autre les terroirs cultivés.
L’histoire habite le paysage, une histoire
millénaire toute entière à portée de vue. Sur ce petit plateau-promontoire,
loin au-dessus des vallées, des hommes ont vécu durant ce qu’on appelle la
protohistoire, l’époque celte ou gauloise. Le mot d’oppidum désigne un habitat fortifié, qui bénéficiait généralement
de défenses naturelles induites par sa localisation en un lieu difficile
d’accès, le plus souvent une position en surplomb. Celui-ci s’appelait à
l’origine Verdun - un beau nom gaulois- et dominait la voie commerciale qui
reliait la Méditerranée à l’Atlantique. Il fut occupé jusque vers 50 avant
notre ère ; à cette époque, profitant de la « paix romaine », la
population descendit vers la plaine où se développaient les activités agricoles
et artisanales. Dans des temps redevenus difficiles, le lieu fut réoccupé à
l’époque féodale, on le qualifiait alors de castrum
(c’est l’équivalent médiéval de l’oppidum)
et on le nommait désormais Berniquaut. L’abbaye de Sorèze fut fondée à son
pied, au IXe siècle. Au XIIe siècle, la seigneurie de
Berniquaut était partagée entre les Trencavel, vicomtes d’Albi et de
Carcassonne, et les Bénédictins de Sorèze. Le village comptait alors plusieurs
centaines d’habitants - on a peine à y croire. Il fut
progressivement abandonné au XIIIe siècle: c’est un
mouvement général qui a fait quitter les châteaux haut perchés et les bourgs
qui les entouraient, quasi-inexpugnables mais tellement difficiles d’accès,
pour des terroirs plus faciles à vivre et à exploiter. Sur ce promontoire si
dur à atteindre, on pense à ces hommes et à ces femmes qui résidaient là-haut,
vivant de quelques lopins de terre et de quelques troupeaux…
Après une pause bienvenue qui nous a permis
d’admirer ce paysage extraordinaire et d’envisager avec incrédulité ce que pouvait
être la vie en un tel lieu, nous redescendons à travers la hêtraie, avec un
petit détour par les ruines de maisons médiévales. Après un chemin de crête et des
vues plongeantes sur des carrières, nous cheminons dans un sous-bois où des
orchidées pyramidales et les grandes hampes des digitales pourprées émergent
d’un foisonnement de fougères. Une voie carrossable qui dessert des fermes, le
carrefour du Montagnet avec une croix de fer très bellement ouvragée, puis une
piste au milieu des grands hêtres. Il commence à faire bien chaud quand on se
trouve à découvert et c’est avec plaisir qu’on arrive au site de Saint-Jammes.
Là, nous découvrons un hêtre « multiséculaire » (« multi », c’est
bien vague, deux siècles ou dix ?) et « remarquable » ;
remarquable, il l’est, tellement immense
qu’il a fallu poser un étai pour soutenir ses branches basses. À côté, ce qui
reste d’une église ( les fondations …); elle avait accueilli jusqu’à la
Révolution des cérémonies paroissiales puis avait disparu sous la végétation
avant d’être dégagée récemment. La belle prairie ombragée qui l’entoure est
jugée digne d’être notre lieu de pique-nique et de sieste, des tâches que nous assurons
avec une grande application.
Après quoi il fait chaud, vraiment chaud,
malgré un ciel couvert. Toujours une profusion de fleurs pour nous rafraichir
la vue sinon le corps, des orchidées roses, des vipérines bleu violet à
profusion, des pelouses de trèfle jaune (je ne garantis pas l’identification…),
des églantines rose pâle, des cistes blancs, des ancolies bleu profond, des
anthémis blanches au cœur d’or, des chardons rose vif tout neufs et tant et tant d’autres…
Puis c’est la découverte du « sentier
karstique », un très beau circuit bien documenté de panneaux qui, à
travers un petit causse croulant, lui aussi, sous les fleurs de toutes les
couleurs, nous mène de dolines en gouffres, en failles, en grottes et en site
minier médiéval. Un point de vue plongeant sur Sorèze avec table d’orientation
et bancs où nous nous affalons parce que là, il fait encore plus chaud,
vraiment plus chaud. Et c’est la descente finale sur Sorèze, un petit
sentier creux très ombragé, ce qui nous
requinque, mais ça descend, ça descend, ça descend…
Sorèze est là, en bas, qui nous attend
paisiblement. Nous empruntons les vieilles rues du centre ancien, bordées de
belles maisons avant d’arriver devant l’abbaye-école, qui mérite quelque rappel
historique. Ruinée par les guerres de religion, l’abbaye médiévale fut relevée au
XVIIe siècle par les Bénédictins de Saint-Maur. En 1682, sous le
règne de Louis XIV, l’abbé y fonda un collège. La qualité de l’enseignement y
était telle que le roi Louis XVI en fit en 1776 une école militaire où les
jeunes aristocrates étaient formés physiquement autant qu’intellectuellement.
L’école fut supprimée comme ses semblables en 1793 ; elle fut reprise en
1854 par les Dominicains sous la houlette du Père Lacordaire et fonctionna
jusqu’en 1991, formant dans une atmosphère sévère et militaire des générations
d’élèves dont beaucoup firent de brillantes carrières dans l’armée, la
diplomatie, la haute fonction publique mais aussi, plus étonnamment, … dans la
chanson (Claude Nougaro, Hugues Aufray). « Sorèze est une école où la
religion, les lettres, les sciences et les arts se partagent les heures d’un
jeune homme afin de jeter en lui les fondements d’une vie d’homme » (Père
Lacordaire).
Il faut bien reconnaître toutefois que nous sommes
plus assoiffés de liquide que de savoir et nous finissons avec béatitude, non
dans l’abbaye, mais attablés dans un café des belles allées de Sorèze.
Merci à Jocelyne et à Martine P. de cette
belle rando pleine de découvertes et de ravissement des yeux.
Compte Rendu de Claudine
Photos de Roger ici
Photos de Jocelyne ici
Photos de Catherine ici