jeudi 23 mai 2024

2024-05-23 Barbaira

En cette belle journée de printemps, nous sommes 30 à nous attaquer aux pentes de l’Alaric. Nous traversons le village de Barbaira, nous passons sous le chemin de fer, nous faisons une halte devant l’église avec son beau clocher carré et sa triple génoise dont les pigeons font leurs petites maisons. Nous longeons des jardins, une prairie où une marée de coquelicots fait flamboyer l’herbe verte, nous passons sous l’autoroute et enfin, voilà le sentier qui mène vers la « montagne ». Des cyprès bordent les vignes, les talus débordent de lilas d’Espagne, de coquelicots, de genêts, de glaïeuls sauvages blancs ou rouges, de thym en pleine floraison et de tas d’autres fleurs de toutes les couleurs.
Puis la montée commence dans une forêt de chênes verts et d’arbustes méditerranéens. Un instant, nous devinons les murailles du château de Miramont, loin au-dessus de nous. C’est une belle montée à travers une végétation de plus en plus dense, égayée des corolles des aphyllantes et des cistes, accompagnée parfois d’une odeur entêtante de figuier et de thym. Nous atteignons une petite route et nous accordons une pause bien méritée. Puis nous attaquons un autre sentier, aussi raide que le précédent, avant d’obliquer à travers pente. La forêt est plus dense et s’agrémente des fleurs de sous-bois, le fragon avec encore ses boules vermillon, des campanules, quelques orchidées pyramidales, des petits cistes blancs, de grands cistes roses et mauves, des fleurs bleues, blanches, jaunes… et plein de plantes grimpantes, rampantes et parfois bien accrochantes. 
Un petit sentier s’écarte du chemin pour conduire au Pas de Roland, lequel offre une très belle vue sur la plaine audoise et sur la Montagne noire. 
Nous sommes ici dans un univers où imaginaire et histoire se mêlent tout en s’ancrant dans le paysage. 
Remontons loin dans le temps. Au début du VIIIe siècle, les Sarrasins ont envahi la plus grande partie de la péninsule ibérique et presque immédiatement a commencé la Reconquista, la reconquête chrétienne à partie des royaumes du nord de l’Espagne. Le pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle est né à ce moment-là et il est vite devenu le symbole de la victoire chrétienne sur les musulmans. Il a pris une grande importance au XIe et surtout au XIIe siècle. Le cheminement vers Compostelle, particulièrement le passage des Pyrénées, était une dure épreuve pour les pèlerins et se mettre dans les pas de héros au caractère sacré valorisait l’effort et le rendait plus acceptable. Le héros sacré par excellence c’était Charlemagne, le grand empereur qui, plusieurs siècles auparavant, avait lui aussi passé les Pyrénées pour combattre les Sarrasins, et son personnage est venu doubler celui de saint Jacques. Charlemagne donc, et ses compagnons au premier rang desquels le célèbre Roland, ont alimenté la littérature (la Chanson de Roland) et ont peuplé les paysages de la route compostellane. Le nom de l’empereur a été  attaché aux lieux témoins des faits les plus prestigieux, une abbaye fondée (Lagrasse), une ville libérée (Carcassonne), une communauté d’habitants dotée de privilèges (l’Andorre). Celui de Roland, moins « sacré », a été lié aux phénomènes étranges de la nature, repères facilement reconnaissables sur le chemin, d’où les nombreux « pas de Roland », comme ici, ou « brèche de Roland » (Gavarnie), palets, ponts, empreintes de sabot de cheval ou de genou, ou même « tombeau » (grotte de Bédeilhac) « de Roland »  qui peuplent les Pyrénées.
Il est très prenant de penser que ces paysages que nous parcourons ne sont pas que des tableaux muets, même s’ils sont très beaux. Ils sont chargés d’âme et ils se souviennent des hommes qui sont venus ici bien avant nous et y ont laissé une part d’eux-mêmes.
Après cet intermède, nous reprenons le chemin très ombragé, au milieu des cistes roses, des immortelles aux petits bouquets jaunes, de la potentille jaune elle aussi, des véroniques bleues, des églantines blanches et roses et même, au milieu du chemin, de belles fleurs de lin d’un bleu azur. 
Un petit bout de route et puis nous redescendons vers le château (eh oui, nous étions au-dessus…). Voilà enfin le château de Miramont dominant un panorama splendide sur la large vallée d’Aude.  Des ruines bien sûr, mais des pans de muraille toujours imposants qui laissent deviner la puissance qu’avait dû avoir l’édifice. Une enceinte extérieure, les restes d’une salle voûtée, le donjon… Nous faisons une pause au milieu des genêts pour évoquer le passé des lieux. Là encore, histoire et légende se mêlent : le château s’est appelé château d’Alaric puisque il s’élève sur les pentes de la montagne du même nom ; Alaric était bien un roi des Wisigoths, qui régna sur le pays, mais ni son tombeau ni un trésor « rêvé » ne se trouvent ici et il n’a jamais occupé ce château qui lui est postérieur de plusieurs siècles. Il a été construit au XIe ou XIIe siècle, comme la plupart des châteaux seigneuriaux de la région. Les seigneurs, ici, étaient la famille de Barbaira dans l’entourage des vicomtes Trencavel. Vint la Croisade contre les Albigeois et le château de Miramont, comme tous ses pareils, fut assiégé en 1210 par Simon de Montfort, avec beaucoup de difficultés, dit un chroniqueur, car la saison -on était vers Pâques-  était rude. Il fut pris et son seigneur, Chabert de Barbaira, devint un des faidits, ces seigneurs bannis et dépossédés de leurs terres. Chabert continua la lutte contre les croisés puis les hommes du roi de France. Un seigneur du même nom, lui ou son fils, participa à la grande révolte de Raimond Trencavel en 1240 puis il fut chargé par un seigneur catalan de la défense du château de Quéribus face aux armées du roi de France en 1255. Il finit par se rendre et la famille de Barbaira fit souche en Catalogne. 
Et le château de Miramont ? Après le siège de 1210, passé aux mains des croisés puis du roi de France, il fut laissé à l’abandon… pour aboutir aux ruines actuelles. Ainsi passe la gloire du monde… c’était pourtant un puissant château.
Nous contournons les murailles et, par-dessus pistachiers lentisques et chênes verts, nous contemplons les formes étranges des « grès rehaussés » dont Guy nous explique la genèse, il y a quelques millions d’années. Ils se détachent au milieu des chênes, des pins et des pinsapos, ces sapins d’Andalousie aux curieuses pignes dressées verticalement sur les branches mais dont beaucoup sont morts, probablement de sécheresse.
Et puis c’est la descente, aussi raide que l’avait été la montée, à travers la forêt toujours aussi pleine de fleurs. Dernière étape sur une petite route qui serpente entre les pins,  puis nous retrouvons les vignes et les cyprès, les coquelicots et les lilas d’Espagne, un dernier regard en nous retournant : au-dessus d’une vigne entourée de cyprès les rochers de l’Alaric émergent de la forêt dans un rayon de soleil. 
Merci Marie-Claude de cette belle randonnée de printemps pleine de fleurs, d’odeurs et de couleurs sur une terre de légendes et d’histoire.

CR de Claudine (P)

Photos de John

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